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Histoire de l'enseignement supérieur en Haïti

Dernière mise à jour : 1 déc. 2023

Survol historique de l'enseignement supérieur haïtien de l'indépendance, en 1804, à nos jours.

De l'Académie Royale à nos jours...



CONTEXTE HISTORIQUE DE DÉPART

Le 1er janvier 1804, Haïti (ou Hayti, Hayiti, Ayiti) proclame son indépendance arrachée à la France après une guerre sanglante et héroïque ayant vu une armée d'esclaves africains triompher de l'armée napoléonienne, l'une des plus puissantes de l'époque. Le 17 octobre 1806, le père-fondateur de la nouvelle nation, Jean-Jacques Dessalines, devenu entre-temps l'Empereur Jacques 1er, est assassiné. S'ensuit une période de luttes fratricides pour le Pouvoir entre les généraux Alexandre Pétion (mulâtre, fils d'un colon français et d'une esclave africaine) et Henri Christophe. Pendant treize ans, de 1807 à 1820, le pays est divisé en deux : Alexandre Pétion devient Chef d'État de la partie méridionale et Henri Christophe, celui de la partie septentrionale où il s'est proclamé Roi en 1811 sous le nom d'Henri 1er. L'histoire de l'enseignement supérieur haïtien commence dans cette dernière région.

L'édition 1814 de l'Almanach Royal d'Hayti publié par l'imprimeur public P. Roux
L'édition 1814 de l'Almanach Royal d'Hayti publié par l'imprimeur public P. Roux

GENÈSE : PREMIÈRE PIERRE CHRISTOPHIENNE

En effet, selon plusieurs historiens de renom dont Edner Brutus et Henoch Trouillot, l'histoire de l'enseignement supérieur haïtien commence dans le « Royaume du nord » ou « Royaume d'Hayti » en 1815 où le Général Henri Christophe, devenu le Roi Henri 1er, ancien inspecteur des écoles, fonda l'« Académie Royale », s'inspirant du système éducatif anglais de l'époque. Cet embryon d'établissement universitaire comprenait une école de médecine, de chirurgie et de pharmacie, une école des arts et métiers et une école d'agriculture. En effet, le Roi fit venir des missionnaires anglais pour l'aider à construire son système éducatif. C'est dans cette optique qu'il sollicita la "British and Foreign School Society" de Londres. Au fait, né esclave le 6 octobre 1767 sur l’île caribéenne de la Grenade, alors colonie britannique, Henri Christophe privilégia, une fois au timon des affaires, le modèle anglo-saxon. Le Souverain s'est ainsi investi à développer des relations diplomatiques et commerciales avec l’Angleterre et les États-Unis d’Amérique (alors jeune nation de moins de 50 ans).

Malheureusement, l'élan né de la création de l'Académie Royale fut stoppé net par la disparition du Royaume du Nord et la réunification du pays en 1820 par le successeur d’Alexandre Pétion dans l'Ouest, Jean-Pierre Boyer, connu pour son obscurantisme. Ainsi, pendant le XIXème siècle, en l'absence de structure d'enseignement supérieur et de formation, c'est en Europe, notamment en France, que se forment les élites politique, économique et culturelle de la jeune nation mise en quarantaine et considérée comme une brebis galeuse par les puissances colonisatrices et esclavagistes de l'époque. Ces dernières considéraient la jeune nation haïtienne comme un mauvais exemple pour les autres colonies et peuples qui croupissaient encore sous le joug de l'esclavagisme.

Réunion annuelle de la British and Foreign School Society. — Lord John Russell, député, au fauteuil. Illustrated London News (14 mai 1853)
Réunion annuelle de la British and Foreign School Society. — Lord John Russell, député, au fauteuil. Illustrated London News (14 mai 1853)

PREMIÈRE ÉDIFICATION PRÉ-MODERNE

Il a fallu attendre la seconde moitié du XIXème siècle pour que soit créé le premier établissement d'enseignement supérieur haïtien à vocation nationale : en avril 1860, l'« École de Droit de Port-au-Prince » voit le jour, sous l'impulsion du Ministre de l'éducation nationale d'alors, Elie Dubois. Cette entité est devenue plus tard la « Faculté de Droit et des Sciences Économiques (FDSE) » de l'Université d'Etat d'Haïti et considérée à juste titre comme la "doyenne des facs".

Au début du XXème siècle , précisément en 1902, naquit l'« École des Sciences Appliquées », établissement privé qui sera affilié, dès 1945, à la « Faculté des Sciences » (de l'« Université d’Haïti ») créée l'année précédente. En 1947 l'« École des Sciences Appliquées » change de nom pour devenir l'« École Polytechnique d'Haïti », et en 1961, elle est incorporée et fusionnée définitivement à la « Faculté des Sciences », entité de l'« Université d'Etat d'Haïti (UEH) ». En remplacement de l'« Université d'Haïti », l'« Université d'Etat d'Haïti (UEH) » fut créée par décret présidentiel, le 16 décembre 1960, par le Chef de l'État de l'époque, François Duvalier, un médecin formé à l'« École de médecine » de Port-au-Prince créée sous l'occupation américaine d'Haïti (1915-1934). Nous abordons cette dernière période à la prochaine section.



PREMIÈRE STRUCTURATION

De 1915 à 1934, les États-Unis d'Amérique occupèrent la République d'Haïti, après s'être emparés des réserves d'or de celle-ci entreposées alors à la Banque Centrale, à Port-au-Prince. Durant cette période honteuse se mise en veilleuse de la souveraineté du pays, l’enseignement supérieur haïtien connut paradoxalement une vague de structuration importante qui se manifesta notamment par l’adoption d’une loi sur l’« Université d’Haïti » (ancêtre de l'« Université d'Etat d'Haïti »), le 4 août 1920. Cet outil légal mettra en place une nomenclature moderne et un cadre institutionnel nécessaires à l'édification d'un paysage national d'enseignement supérieur. Car, jusque-là, le terme « Université » gardait en Haïti son sens médiéval "pré-napoléonien" emprunté à l'ancien système français, c’est-à-dire incluant à la fois les cycles d'études primaires, secondaires et post-secondaires (supérieures). La loi du 4 août 1920 permit d'appréhender le terme « Université » dans son acceptation moderne, à savoir un établissement d'enseignement supérieur créant et diffusant des savoirs par la recherche et l'enseignement de haut niveau et délivrant les qualifications nécessaires à l’exercice des professions. La période d’occupation américaine favorisera également la création de nouveaux établissements qui, plus tard, vont être mutés en entités de l'« Université d'Etat d'Haïti (UEH) ». Il s'agit notamment de l'« École de médecine » devenue plus tard la « Faculté de Médecine et de Pharmacie (FMP) » , et l'« École centrale d'agriculture », future « Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire (FAMV) ». Après l'occupation américaine, précisément à partir des années 40, de nouveaux établissements d'enseignement supérieur publics voient le jour , dont notamment :

  • L'«Institut d'Ethnologie», fondé en 1941 avec le docteur Jean Price-Mars comme premier directeur, et devenu en 1958 la « Faculté d'ethnologie »;

  • L'« École normale supérieure » vit le jour en 1947 pour former les enseignants du cycle secondaire;

  • L'« Institut National d’Administration, de Gestion et des Hautes Études Internationales (INAGHEI) », auparavant « Institut des Hautes Études Internationales », fondé en 1973;

  • L'« École nationale de service social », devenue plus tard la « Faculté des Sciences Humaines (FASCH) », 1974

  • L’« Institut d’Etudes et de Recherches Africaines d’Haïti (IERAH) », en 1980, et devenu, entre temps, l'« Institut Supérieur d'Etudes et de Recherche en Sciences Sociales (ISERSS) ».

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DEUXIÈME STRUCTURATION
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Tel qu'indiqué plus haut, François Duvalier, qui dirigea le pays de 1957 à sa mort en 1971, créa, par décret, l'« Université d'État d'Haïti (UEH) » , le 16 décembre 1960. Il s'agit d'un établissement public, opérateur d'enseignement et de recherche, mais également régulateur pour l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur privés et publics du pays. En ce sens, l'UEH était donc chargée de délivrer des autorisations de fonctionnement aux établissements privés et sa gouvernance était assujettie au pouvoir politique. Car, en créant cette nouvelle structure d'« Etat », Duvalier voulait domestiquer l'université haïtienne d'où sont partis les premiers mouvements de protestation estudiantine contre son règne. On se souvient tous de la grève des étudiants de 1960. Jusqu'à sa mort au pouvoir, en 1971, l'UEH demeura sous un dirigisme centralisé à des fins de contrôle de l'opinion et de prévention de la subversion. En 1971, à la mort de son père, Jean-Claude Duvalier, 19 ans, hérita du pouvoir qu'il exerça jusqu'en 1986, à sa chute. Bien que la constitution de 1983 reconnaisse l’UEH comme une institution « indépendante », les contours de cet élargissement par rapport au pouvoir Exécutif restaient flous. À la chute de Duvalier Jr, en 1986, une nouvelle Constitution fut rédigée et votée l’année suivante. Celle-ci, à travers son article 208 (titre VI, chapitre V) fit de l'UEH un établissement public autonome.

Cette photo prise probablement à la prison de Fort Dimanche entre le 7 décembre 1958 et le 6 septembre 1961, montre le dictateur François Duvalier (Papa Doc) procédant à une exécution, accompagné de son fils Jean-Claude Duvalier (Bébé Doc) âgé d’environ 10 ans à l’époque (Source : Colls. Morone & CIDIHCA)
Cette photo prise probablement à la prison de Fort Dimanche entre le 7 décembre 1958 et le 6 septembre 1961, montre le dictateur François Duvalier (Papa Doc) procédant à une exécution, accompagné de son fils Jean-Claude Duvalier (Bébé Doc) âgé d’environ 10 ans à l’époque (Source : Colls. Morone & CIDIHCA)

RÉGIONALISATION ​

​Entre 1999 et 2006, en vue de décentraliser et d'étendre l'enseignement supérieur à l'ensemble du territoire national, donc au-delà de la capitale, l'Etat Haïtien a expérimenté dans le Département du Sud du pays, un type d'établissement connu alors sous l'appellation de "Centre d'Enseignement Supérieur Technologique (CEST)", et implanté dans la ville des Cayes. Sur les bases de ce projet pilote furent créées, à partir de 2006, les "Universités Publiques en Région (UPR)" dont les 3 premières furent :

  • Université Publique du Sud Aux Cayes (UPSAC), 2006

  • Université Publique de l'Artibonite aux Gonaïves (UPAG), 2007

  • Université Publique du Nord au Cap-Haïtien (UPNCH), 2007

Entre 2007 et 2016 furent créées les UPR suivantes :

  • Université Publique du Sud-Est à Jacmel (UPSEJ), 2011

  • Université Publique du Nord-Ouest à Port-de-Paix (UPNOPP), 2012

  • Université Publique du Centre (UPC), 2012

  • Université Publique du Nord-Est à Fort-Liberté (UPNEH), 2014

  • Université Publique des Nippes (UPNIP), 2014

  • Université Publique de la Grand'Anse (UPGA), 2014

  • Université publique du Bas-Artibonite à St-Marc (UPBAS), 2016

Desservant une population étudiante évaluée à environ 8000, ces dix établissements régionaux délivrent des formations au niveau du premier cycle d'études supérieures (licence) principalement dans les champs suivants : sciences juridiques, sciences de l’agriculture, tourisme, sciences administratives, sciences de l’éducation et sciences infirmières.

Vue du campus de l'Université Publique du Sud Aux Cayes (UPSAC)
Vue du campus de l'Université Publique du Sud aux Cayes (UPSAC)

ENTRÉE EN SCÈNE DU SECTEUR PRIVÉ

Après l'expérience de « l'École des Sciences Appliquées » au début du XXe siècle, l'enseignement supérieur privé mettra du temps à réapparaître en Haïti, si l'on compare avec l'histoire de l'éducation dans d'autres pays de la Caraïbe. La création d'établissements privés d'enseignement supérieur moderne en Haïti est quasi-exclusivement l'œuvre d'universités haïtiennes ayant étudié à l'étranger ou d'anciens responsables de l'administration publique du pays. Les entreprises en Haïti n'ont pas pour tradition de soutenir l'enseignement supérieur, comme c'est le cas dans les pays anglo-saxons. Une seule, l'Université Quisqueya (UniQ), doit sa création à des alliances entre le secteur privé haïtien des affaires et celui de l'enseignement supérieur. Sans aide publique ni mécénat du secteur privé, ces établissements privés tirent leur financement des frais de scolarité versés par les étudiants. Parmi les plus anciens, il faut citer principalement :

  • L'Université Adventiste d'Haïti (UNAH), 1921

  • L'Institut des Hautes Études Commerciales et Économiques (IHECE) , entre 1961 et 1963

  • L'Institut Supérieur Technique d'Haïti (ISTH) / Université Ruben Leconte, 1962

  • L'Université de Port-au-Prince (UP), 1983

  • L'Université Quisqueya (UniQ), 1988

  • L'Université INUKA, 1988

  • L'Académie Nationale Diplomatique et Consulaire (ANDC), 1988

  • L'Université Jean Price-Mars, 1991

  • L'Université Lumière, 1993

  • L'École Supérieure d'Infotronique d'Haïti (ESIH), 1995

  • L'Université Notre-Dame d'Haïti (UNDH), 1995

  • L'Université Episcopale d'Haïti (UNEPH), 1995

Les années 2000 ont vu l'explosion du nombre d'établissements privés qui occupent actuellement 78% de l'espace universitaire haïtien selon les données de la Direction de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (DESRS) du Ministère de l'Education Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) publiées en août 2023.

Vue aérienne d'un pavillon de l'Université Quisqueya (UniQ), dans le quartier de Turgeau, à Port-au-Prince
Vue aérienne d'un pavillon de l'Université Quisqueya (UniQ), dans le quartier de Turgeau, à Port-au-Prince


ASSOCIATIONS INTER-INSTITUTIONNELLES

Face au dispersement des actions publiques et privées dans le secteur de l'éducation, précisément dans le sous-secteur de l'enseignement supérieur, émergent des associations d'établissements. En 2011 est créée la « Conférence des Recteurs, Présidents et Dirigeants d’universités et d’institutions d’enseignement supérieur haïtiennes (CORPUHA) », reconnue d'utilité publique depuis 2018, et dont la mission est d’« aider le secteur universitaire à se structurer et d'offrir un enseignement de qualité à travers le pays ». En février 2023 est né le « Réseau National de l'Enseignement Supérieur Public d'Haïti (RENES) » dont la mission est, selon ses fondateurs, d'« aider à établir et à développer la connectivité des universités publiques haïtiennes aux différents réseaux universitaires internationaux pour une amélioration de la formation universitaire, de la recherche scientifique et des services à la communauté dans notre pays ».

Le 3 février 2020, le Président de la République, Jovenel Moïse (4ème à partir de la gauche), reçoit au Palais national, les dirigeants de la CORPUHA.
Le 3 février 2020, le Président de la République, Jovenel Moïse (3ème à partir de la gauche ou 4ème à partir de la droite), reçoit au Palais national, les dirigeants de la CORPUHA.
Lancement, le 15 mai 2023, du RENES, à l’Hôtel Montana
Lancement, le 15 mai 2023, du RENES, à l’Hôtel Montana

SITUATION CONTEMPORAINE

Actuellement, le paysage de l'enseignement supérieur haïtien compte plus de 250 établissements dont seulement 178 sont titulaires du permis de fonctionnement délivré par la DESRS/MENFP, le régulateur gouvernemental cité plus haut. Ce dernier appui sur le décret du 30 juin 2020 portant "organisation, fonctionnement et modernisation de l'enseignement supérieur" (article 5 alinéa 23) pour codifier son travail de contrôle et d'habilitation dans un sous-secteur traité en parent pauvre à travers les politiques publiques.

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En plus de sa précarité originelle intimement liée au tissu socio-économico-historique du pays, l'enseignement supérieur haïtien fait face, en cette fin du premier quart du XXIème siècle, à une crise de capital humain sans précédent : au cours des 10 dernières années, plus de 80% de l'ensemble des corps professoraux ont du fuir le pays à cause du chaos régnant, selon les estimations de la CORPUHA, entre autres. À l'exode professoral s'ajoute celui des étudiants : aspirée par les opportunités de mobilité académique internationale et les programmes humanitaires nord-américains de regroupement familial, la population étudiante haïtienne a diminué de plus de 75% au cours des 5 dernières années et plusieurs établissements majeurs songent à fermer leur porte "temporairement". "Le pays se vide de sa jeunesse comme un os de sa substantifique moelle". Cette fuite de capitaux humain et financier qui menace l'avenir ‒ voire l'existence même du pays ‒ va faire l'objet d'une recherche approfondie de HIGHER au printemps 2024.


Josemar St-Victor





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